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La photo: le pommier, été 47

Cette sculpture est réalisée à partir d’une photographie prise en 1947 au Petit-Saconnex, intitulée «Le pommier, été 47» et représentant cinq personnages masculins d’âges et de tailles différents, alignés torse nu au soleil sur un fond de jardin familial. Elle m’a été montrée par le plus jeune des personnages lors de mon arrivée à Genève en 1974. Il m’a fait visiter ce jardin et m’a présenté aux autres membres de sa famille photographiée en 1947 par sa grand-mère. Celle-ci est décédée depuis, ainsi que le personnage le plus âgé.

Ce cliché n ’a cessé de me fasciner et cela a abouti finalement à un projet de réalisation où s’exprimeraient mes solutions personnelles à la relation peu explorée photographie/ sculpture. J’ai été particulièrement sensible aux détails suivants: la seule présence masculine, amplifiée par les générations différentes; la valorisation des visages et des torses nus soudés les uns aux autres; l’absence visuelle des mains, témoignant des limites bidimensionnelles de la photographie; l’ambiance d’immédiate après- guerre enfin, l’effet de mort inhérente à tout portrait, mon regard, quarante ans plus tard, et donc la présence de l’Histoire, du Temps et de la Mort autour de ces personnages ensoleillés sur un fond de verdure rassurante.

L’auteur de cette photographie, le personnage hors-champ, cette grand-mère des années 40, c’est moi aujourd’hui quand je contemple cet instantané et ce sera le spectateur lorsqu’il tournera autour de la sculpture. Mon travail a consisté dans le passage matériel du plan au volume, passage impliquant nécessairement quelques transformations. Le moulage humanise par ses rondeurs. Il s’ensuit une impression d’universalisation étrangère au simple document. Grâce au volume, il est possible de voir la face cachée de la photographie: les dos et les mains dévoilées dans leurs jeux secrets. Le socle est constitué d’une main féminine aux ongles peints: elle est le support réel, le soutien, la Mère qui porte et génère ces générations d’hommes qui doivent vaincre, la femme qui dresse un mur viril contre les privations, la guerre, les déportations d’enfants, la mort… Le cliché réalisé en plexiglas, c’est la transparence originelle de la plaque de verre photographique. Il permet le reflet du personnage hors-champ, en l’occurrence le spectateur, ainsi physiquement intégré à la scène représentée, occupant une place distanciée mais réelle dans le dispositif de la représentation.

Elisheva Engel